Un dossier oublié : l'affaire Pelissier (14/09/2021)

Une étrange expérience qui m'est arrivée cet été 2021 lors d'une visite touristique dans le Vaucluse. Parfois, les dossiers inexpliqués viennent à vous sans rien demander...
Je redescendais en voiture d'une promenade au mont Ventoux (Vaucluse) lorsque je me suis arrêté au hasard dans un virage pour satisfaire un petit besoin naturel - la route est longue entre le sommet et le premier village.

Panneau.JPGDe retour à ma voiture, j'avise un petit panneau que je n'avais pas vu en arrivant sur lequel il est inscrit "Stèle souvenir Anne-Marie Pélissier". Toujours curieux (le mot "stèle" fait référence à la mort), je tente de me connecter sur Google pour en savoir plus, mais je suis en zone blanche, aucun réseau. 

Je décide donc de revenir sur mes pas sur le chemin de terre pour aller voir de quoi il s'agit. Et à moins de cent mètres de ma voiture, je tombe (sans mauvais jeu de mots) effectivement sur une stèle qui marque l'endroit précis où l'on retrouva les restes d'Anne-Marie Pélissier, une petite fille enlevée en 1955
Une affaire terrible qu'il m'a semblé normal de faire remonter des ténèbres car elle est aujourd'hui bien oubliée.

L'enlèvement d'Anne-Marie

Au contraire d'autres affaires similaires très médiatisées, celle-ci est de nos jours tombée dans l'oubli. Voici un résumé de l'histoire à partir des éléments que j'ai pu retrouver dans la presse de l'époque.

s-l300.jpgLe 25 mai 1955, peu avant midi, la petite Anne-Marie Pélissier, 11 ans, est en train de rentrer à bicyclette à la ferme de ses parents, située à 1,5 km de la ville d'Orange (Vaucluse) sur la route de Roquemaure. La fillette est à quelques centaines de mètres de chez elle, lorsqu'elle est doublée par une 2 CV Citroën de couleur grise. La voiture la serre de trop près sur le bord de la route et la fait tomber contre un platane. De la voiture sort un homme qui saisit la petite Anne-Marie et la pousse dans le véhicule, malgré ses cris. La 2 CV opère un demi-tour et file en direction d'Orange. Ce sont deux témoins qui ont raconté la scène : de loin, ils ont vu l'homme s'emparer de la gamine et s'enfuir avec elle. 
Dans les jours qui suivent, on entreprend de vastes recherches, qui mobilisent jusqu'à 1000 personnes mais malgré cela, et notamment l'intervention de radiesthésistes, l'enfant demeure introuvable. 

Le 24 juin, un mois environ après la disparition, on arrête un ignoble personnage du nom de Jean-Baptiste Coquelin. Ce médecin stomatologiste, ancien adjoint au maire ce Brest, a tenté d'extorquer aux parents désespérés la somme de 20 millions en prétendant qu'il détenait l'enfant. Il sera plus tard condamné à deux ans de prison, et même 30 mois en appel. Mais cet odieux escroc n'est pour rien dans le kidnapping d'Anne-Marie.

Une tentative de rapt dans le Var

En septembre 1955, les autorités n'ont pas renoncé à retrouver Anne-Marie. La 9ème brigade de police mobile relance ses investigations car elle a entretemps relié l'affaire d'Orange avec la tentative d'enlèvement de la jeune Andrée Barbier, 12 ans, le 12 février précédent à Brignoles dans le Var.
Dans cette affaire-là, la petite fille avait réussi à échapper à son ravisseur et la description qu'elle avait donné coïncide étrangement avec celles des témoins d'Orange : le ravisseur de Brignoles circulait lui aussi à bord d'une 2 CV. Il semblait âgé de quarante ans et mesurait 1,70 m environ.

Dans l'espoir de recueillir de nouveaux renseignements, les policiers donnent donc à la presse un portrait-robot figurant le visage de l'auteur du premier rapt manqué.

Un étrange suicide 

Mais au début du mois de décembre 1955, les enquêteurs vont effectuer un rapprochement avec un autre drame survenu plusieurs mois auparavant, le 31 mai 1955. Ce jour-là, soit six jours après le rapt d'Anne-Marie, un ingénieur agronome de 40 ans du nom de Pierre Nepveu, père de famille apparemment sans histoire, se suicide en se jetant sous un train à Chaumont-sur-Yonne (Yonne). 
Le commissaire Vasseur, de la première brigade mobile, enquête alors sur les raisons de ce suicide. Il parvient à établir que cet homme, fonctionnaire du Ministère de l'agriculture, avait fait l'objet de mutations disciplinaires à la suite de nombreuses affaires de mœurs. Il s'était rendu coupable de trois tentatives d'enlèvement de mineurs en Seine-et-Oise et, se sachant découvert, il aurait décidé de mettre fin à ses jours.

Les circonstances du drame sont demeurées un peu brumeuses. Pierre Nepveu s'est-il vraiment donné la mort ou bien a-t-il été victime d'un accident ? Si l'on en croit le chauffeur et le mécanicien du train, l'homme avait la tête posée sur un rail et ne l'a pas relevé, malgré les sifflements du train qui arrivait sur lui à la vitesse de 100 kilomètres à l'heure. 
Près de son corps dont seule la tête fut écrasée, on a retrouvé un filet d'entomologiste et un bocal vide. Apparemment l'ingénieur, passionné par les insectes, était atteint de surdité partielle. Doit-on penser qu'il était trop absorbé par ses recherches le long de la voie au point d'allonger sa tête sur le ballast et qu'il n'ait pas entendu la locomotive approcher ? Ou bien a-t-il posé près des rails le filet et le bocal (vides) juste pour accréditer la thèse de l'accident ?

Suicide ou accident, on ne le saura sans doute jamais. Mais que se passait-il dans la tête de l'ingénieur ? Si certains le présentaient comme un bon père de famille, d'autres n'hésitaient pas à le traiter de déséquilibré. Pierre Nepveu avait été atteint quelques années auparavant d'une otite trépanée et devenu partiellement sourd, il avait changé de comportement. Il était devenu instable et ne rendait visite que de temps en temps à sa femme et ses enfants, surtout après la liaison avec une employée de son service qui lui avait valu sa mutation en région parisienne. C'est ensuite qu'il avait commencé à s'en prendre aux fillettes. 
En tout cas, les policiers de la première brigade mobile ont établi, de manière formelle, que l'ingénieur agronome est bien l'auteur des trois agressions commises en Seine-et-Oise.

On a sans doute identifié le coupable 

Ces sombres événements ont eu lieu loin du Vaucluse mais si les enquêteurs s'y intéressent, c'est parce que le suicidé présente des traits très similaires à ceux du kidnappeur tels qu'établis dans le portrait robot. De plus, il circulait fréquemment dans une 2 CV. Enfin, Pierre Nepveu avait été muté du Vaucluse en région parisienne mais il se trouvait bien dans la région d'Orange le 25 mai, jour de l'enlèvement. Le 28 mai, il rendait pour la dernière fois visite à sa femme et à ses quatre enfants. 

Au fil de leurs investigations, les enquêteurs méridionaux acquièrent la conviction que le ravisseur de la fillette est peut-être celui qui avait tenté la petite Andrée près de Brignoles. Lorsqu'on va présenter à la fillette une photographie établie grâce aux signalements fournis par les témoins de Seine-et-Oise et du Vaucluse, elle va s'exclamer : "Oui, c'est lui, j'en suis sûre. Et l'une de ses copines, présente lors de la tentative de rapt, va également corroborer son témoignage. " Une petite amie de l'enfant a corroboré ce témoignage.
Tous ces éléments, ces coïncidences, l'analogie des agressions et les témoignages concordants vont finalement pousser les autorités, en l'absence de toute autre piste, à conclure que Pierre Nepveu était bien le ravisseur de la petite Anne-Marie.

Reprise des recherches 

Considérant que Pierre Nepveu, considéré donc comme l'auteur de l'enlèvement de la petite Anne-Marie Pélissier, est décédé et ne peut donc confirmer par des aveux les résultats de l'enquête conjointement menée par les commissaires Vasseur et Col, M. Pouget, le juge d'instruction à Orange, M. Pouget, déclare alors le 7 décembre 1955 : "Je ne saurais considérer l'enquête criminelle comme close, car un doute continuera à subsister tant que la mort de la petite victime n'aura pas été établie de façon certaine."

232040446_4251679144911422_9031908407310611349_n.jpgLes recherches reprennent, au total deux cent hommes qui vont explorer systématiquement la région comprise entre les localités de Sérignan, du comtat Travaillan, Saint-Roman-de-Malegarde et Rasteau. Cette zone avait déjà été longuement explorée au cours des journées qui ont suivi l'enlèvement.
Mais on effectue des recherches plus méthodiques, redoutant que le corps de la petite victime (plus guère de monde ne croit encore qu'elle puisse être vivante) soit dans une grotte ou au fonds de l'un des nombreux puits abandonnés de la région. En vain.

Si les enquêteurs fouillent dans toute cette zone, c'est qu'ils ont réussi à reconstituer le parcours du ravisseur le 25 mai qui se trouvait vers midi à Orange et à 17 heures à Villeneuve-les-Avignon.
Après avoir enlevé la petite Anne-Marie sur la route de Roquemaure, le kidnappeur a rebroussé chemin, traversé Orange par les quartiers extérieurs pour prendre la direction de Vaison-la-Romaine. Vingt minutes après l'enlèvement, une fermière, Mlle Carletti, aperçoit la 2 CV et reconnait à sa coiffure la petite Anne-Marie. Vers 12h30, le véhicule est vu aux environs de Travaillan. On retrouve sa trace quelques minutes plus tard près du village de Rasteau. 
La région comprise entre Rasteau et Saint-Roman-de-Malegarde est une colline aux taillis très serrés, où ne s'érige aucune habitation. Il semble donc que le ravisseur s'est dirigé vers ces fourrés où il serait resté durant une demi-heure environ. On le revoit ensuite, à la descente de la colline, dans la localité de Saint-Roman-de-Malegarde. Il demande même à plusieurs habitants du hameau la direction de la route nationale. Ces témoins, qui sont unanimes à dire que l'individu ressemblait de façon frappante à Pierre Nepveu dont ils ont vu la photo, ont tous dit que l'homme semblait affolé...

La découverte du corps d'Anne-Marie

En définitive, ces fouilles ne donneront rien et ce n'est que seize mois après l'enlèvement, le 10 septembre 1956, que le squelette de la petite disparue va être retrouvé par deux promeneurs dans un chemin de terre, le long de la route qui relie le Mont Ventoux à Sault, situé à 20 km de là. 
Virage stèle 2.JPGDeux touristes, M. Cordonery, retraité de la SNCF à Valence, et son épouse, qui se trouvaient en vacances dans le Vaucluse, étaient partis très tôt voir le soleil se lever sur le mont Ventoux. Sur le chemin du retour, en redescendant dans la plaine vers 8 heures du matin, ils décidèrent d'aller marcher dans un bois de sapins pour y chercher des champignons.
Et à 80 mètres de la route, le long du sentier forestier, ils découvrirent "sous un tas de pierres une petite sandalette marron qui chaussait un pied décharné, et, un peu plus loin, le squelette d'un enfant" (Le Monde).


Alertés de la macabre découverte, la gendarmerie et le parquet songent aussitôt à Anne-Marie Pélissier enlevée. Leur hypothèse est vite confirmée lorsque les parents de la petite victime, mis en présence des restes de l'enfant et des lambeaux de vêtements retrouvés, reconnaissent formellement leur enfant.
Impossible de savoir ce qu'a donné l'analyse de la dépouille de la petite victime. Je n'ai pas trouvé d'information sur le sujet. Sans doute les maigres conclusions, au vu de l'état dans lequel a été retrouvé le corps près d'un an et demi après, n'ont-elles été communiquées qu'à la famille.

Signe ou coïncidence ?

Virage stèle.JPGPour ma part, je me demande juste quelle était la probabilité (infime sans doute ?) que je m'arrête dans ce virage précisément (la route doit en comporter plus de cinquante avant le premier village) et que je remarque du coin de l'oeil ce petit panneau. 
Pour la justice, c'est un dossier clos et prescrit. Les policiers parisiens de la sûreté nationale et leurs collègues marseillais ont estimé avec vraisemblance que le suicidé de la ligne Paris-Dijon et le ravisseur de la petite Anne-Marie étaient bel et bien le même homme.
Alors, juste une coïncidence ou le signe qu'il fallait que je découvre cette affaire dont j'ignorais absolument tout ? Et si c'est le cas, dans quel but ? Je n'en sais rien...
D'ordinaire, je ne m'intéresse pas trop aux affaires strictement criminelles. Y aurait-il un dossier inexpliqué à rouvrir ? Je l'ignore.
En tout cas, ce site de mémoire, tout comme celui où s'est déroulé le triple assassinat de l'affaire Dominici (que j'ai visité en 2020) est un lieu où l'on n'a pas du tout envie de s'attarder, surtout seul dans la forêt...

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