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  • La fausse énigme de la D 419

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    Voici les détails sur l'affaire que j'ai évoquée le 15 août 2015 à la Journée de l'Etrange de Rennes-le-Château.

     

    Malediction-de-la-route-d419.jpgEtant né en Alsace, je ne pouvais que m'intéresser à l’histoire de la départementale 419, au sud de Mulhouse. Vous allez voir qu'entre ce qu'on dit et la réalité, il existe quelques "distorsions".

     

    Ce qu’on raconte de la D419

    Il y aurait sur la départementale 419 une portion de route, entre les villes d'Altkirch et de Dannemarie, sur laquelle on aurait recensé le plus grand nombre d’accidents de toute la région. Dans un reportage vidéo que l’on peut voir sur Youtube, il est précisé : « En quatre années, entre 1994 et 1998, 124 accidents de la route s'y sont déroulées et l'hécatombe continue encore » (sic).

    Dans la vidéo, un certain Jean-Bernard Herman, cuisinier de son état, déclare que « quand il prend sa voiture et arrive sur cette route, il fait très attention. Lui et les habitants de la région craignent pour leur vie sur cette route qui est pourtant bien droite ». Il dit avoir lui-même assisté en direct à un accident, se souvient de l'arrivée des gendarmes et des pompiers. Ce jour-là, les personnes sur place avaient évoqué la présence d’un ancien cimetière à cet endroit-là et une éventuelle explication surnaturelle. 

    D’ailleurs, les accidents ont toujours lieu au même endroit, non loin d’une auberge.

    Le maire de la petite localité de Carspach toute proche, Jean-Pierre Hartmann, confirme la crainte de ses administrés quant à cette mystérieuse ligne droite. Et on parle donc de ce bout de route comme d’un endroit maudit…

     

    J’ai commencé par faire quelques vérifications : Jean-Pierre Hartmann a bien été maire de Carspach de 2011 à 2014 et il existe bien une auberge, au milieu du tronçon, l’Auberge Sundgovienne, qui tire son nom de la région, le Sundgau. 

    Quant au lieu, Google Maps nous montre qu’il s’agit d’une route assez étroite, très droite et bordée d’arbres plantés régulièrement.

    J’ai d’abord fait le rapprochement avec la fameuse histoire du kilomètre 239 de l’autoroute allemande dont j'ai montré qu'il s'agissait d’une légende urbaine. Mais dans le cas présent, nous avons des éléments précis. Serait-on en face d'une réalité paranormale ?

     

    Que faut-il en penser ?

     

    D’abord, il faut souligner que la quasi-totalité des articles écrits sur le sujet sont en fait des reprises plus ou moins mal « copiées-collées » d’un seul et même texte, la « route maudite de la départementale 419 » (sic) extrait d’une vidéo de TFI diffusée en janvier 2009 qui s’appelait « Le meilleur des 30 histoires les plus mystérieuses ». Avant cette émission, on n’avait jamais parlé de cette route prétendue maudite.

     

    Dans le reportage vidéo, on nous propose deux hypothèses pour expliquer le prétendu phénomène.

     La première piste, c'est celle de Joseph Birckner, un géobiologue qui déclare qu’en cet endroit, il y a une anomalie des champs magnétiques terrestres. Et cette anomalie pourrait entraîner chez un conducteur du stress, voire une perte de conscience qui pourrait justifier la perte de contrôle du véhicule… 
    On accordera le crédit que l’on veut à un représentant de la géobiologie, un terme scientifico-fumeux qui désigne en fait la radiesthésie. Je souhaite juste préciser que la radiesthésie, à propos de laquelle on est libre de penser ce que l'on veut, n'est pas une science : ses croyances n’ont jamais été démontrées scientifiquement.

     

    La deuxième piste nous oriente vers la présence dans les alentours d’un cimetière (ou d’un charnier) dont les âmes viendraient hanter les vivants passant à proximité. Dans le reportage vidéo, Madeleine K.  alors maire adjoint d'Altenach, une commune à proximité, raconte qu’au XVIème siècle, quatre ou cinq villages des alentours ont été ravagés lors d’une guerre et tous les villageois seraient morts dans des conditions dramatiques. 

    Je n'ai pas retrouvé trace de cet épisode à cette époque. Ce qui ne signifie pas  qu’il n’a pas pu exister. En effet, des dizaines de villages ont disparu dans le Sundgau au fil des siècles. Notamment durant l’occupation suédoise dans les années 1630-1640 avec un bilan humain désastreux : certaines parties du Sundgau ont alors perdu jusqu'à 80 % de leur population !


    Pour rester dans le thème de la nécropole, il y a bien un élément étrange. Récemment, en 2011, on a redécouvert la galerie Kilian de Carspach, un abri souterrain allemand, partiellement enfoui le 18 mars 1918 lors d'un bombardement d'artillerie français. Lors des fouilles, on a retrouvé l'ensemble des dépouilles et des équipements des 21 soldats allemands morts suite à son effondrement. Pourquoi l’évoquer ? Parce que cet abri souterrain se situe juste au début du « tronçon maudit » de la D419 en quittant Altkirch…

    Pour autant, nul conducteur accidenté n’est jamais venu raconter qu’il aurait aperçu des fantômes ou qu’il aurait été brièvement possédé ou hanté lors de son passage sur la D419…

     

    La troisième piste, curieusement, est beaucoup plus récente : je l’ai trouvée dans un article de l’Express du 24 juillet 2015 sous le titre  « L’Alsace, terre de mythes et de légendes ». Elena Ostermann, qui travaille à la mairie d'Altkirch, y explique que « certains estiment que les accidents qui ont lieu sur la petite route départementale qui relie Carspach à Ballersdorf sont liés à la présence de la dame blanche de Carspach ». 

    A l'évidence, il y a là une confusion entre la légende de la dame blanche, qui apparaîtrait la nuit sur certaines routes, pour prévenir les automobilistes d’un proche danger (apparemment elle manquerait à tous ses devoirs sur la D419…) et la très jolie légende de la demoiselle blanche de Carspach, qui n’a absolument rien à voir !

     

    Et puis, vous l'aurez sans doute remarqué, mais le reportage de TF1 (étrangement ou… volontairement ?) ne propose aucune hypothèse rationnelle ! Comme si le mystère était forcément de nature paranormale ! Pourtant, les explications plus raisonnables existent et, pardon de le dire ainsi, elles partent moins vite dans le fossé que les précédentes !

     

    Cette route est-elle aussi dangereuse qu’on le dit ?

     

    Dans le reportage vidéo, il est dit : « En quatre années, entre 1994 et 1998, 124 accidents de la route s'y sont déroulées et l'hécatombe continue encore » (sic). Etrange statistique qui nous fait réagir : et avant 1994 ? Et entre 1998 et 2009, date de diffusion de l’émission ? 


    la-portion-maudite-de-la-d419.jpgJe n’ai pas trouvé de chiffre sur les années 90, mais j’ai téléchargé la carte des accidents en Alsace entre 2010 et 2014 : la route qui nous occupe a enregistré, en cinq ans, moins de dix accidents et aucun mortel ! A comparer avec la départementale 7B, toute proche, où les accidents se sont succédés…
    Et l’examen des cartes de la Sécurité routière en 2008 et 2009 dans le Haut-Rhin révèlent qu’il y a eu en tout et pour tout moins de trois accidents mortels chaque année dans ce secteur. On est très loin du chiffre lancé dans le reportage… Depuis la fin 2014, seulement deux accidents sur cette route selon les archives de la presse alsacienne. 
    Faut-il penser que l’installation d’un radar automatique en 2010 a considérablement ralenti les accidents ? 

     

    Ce qu’on a oublié de dire...

     

    • La portion de la 419 en question est une longue ligne droite : elle incite les conducteurs à accélérer, la vitesse étant un facteur déclencheur d’accidents comme chacun sait. La portion de route est également bordée d’arbres : dans certaines circonstances, soleil, éclairage en face la nuit, il peut se créer un effet "stroboscopique" avec l'alternance arbre-lumière qui peut créer des absences chez les conducteurs. 
    • Enfin, et personne ne semble l'avoir remarqué, mais cette portion de route est celle qu’empruntent tous les noctambules qui sortent des boîtes de nuit d’Altkirch et qui vont vers l’ouest de la région. Or, on sait que la présence d'une ou de plusieurs boîtes de nuit à proximité est un facteur accidentogène supplémentaire.

    Conclusion

    Cette partie de la départementale 419 est probablement une route dangereuse, comme il en existe hélas, beaucoup ailleurs en France. En raison de ses spécificités, nous ne pouvons que recommander à tous ceux qui l’empruntent de rester vigilants.
    Mais en aucun cas cette dangerosité ne résulte d’une explication ésotérique ou paranormale. Parler de la « malédiction » de la D419 relève donc du pur fantasme.

    Statut : légende urbaine