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  • NON, Camille Monfort, la vampire de l’Amazonie, n’a jamais existé !

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    En juillet 2023, une histoire insolite inédite surgit sur le web et les réseaux sociaux. Celle d'une jeune femme à l'incroyable beauté (photo à l'appui) qui aurait vécu en Amazonie et aurait été une authentique vampire. 
    Si les internautes s'enflamment et prennent pour beaucoup ce récit sorti de nulle part et présenté comme une "légende" comme une histoire authentique, il s'avère en fait que c'est une pure fiction. Je vous explique pourquoi.

    L'HISTOIRE TELLE QU'ON LA RACONTE

    Commençons d'abord le récit de la légende de Camille Monfort, la "Vampire de l'Amazonie" (1896) tel qu'il circule de manière virale :

    En 1896, Belém s'enrichit en vendant le caoutchouc amazonien au monde entier, enrichissant du jour au lendemain les paysans qui construisent leurs riches demeures avec des matériaux venus d'Europe, tandis que leurs femmes et leurs filles envoient leurs vêtements se faire laver sur le vieux continent et importent de l'eau minérale de Londres pour leurs bains.

    Le "Theatro da Paz" était le centre de la vie culturelle en Amazonie, avec des concerts d'artistes européens. Parmi eux, l'un d'entre eux attirait particulièrement l'attention du public, la belle chanteuse d'opéra française Camille Monfort (1869-1896), qui suscitait des désirs inavouables chez les riches seigneurs de la région, et une jalousie atroce chez ses épouses en raison de sa grande beauté. Camille Monfort a également suscité l'indignation pour son comportement affranchi des conventions sociales de son époque.

    La légende raconte qu'on l'a vue, à moitié nue, danser dans les rues de Belém, alors qu'elle se rafraîchissait sous la pluie de l'après-midi, et la curiosité a également été attisée par ses promenades nocturnes solitaires, lorsqu'on l'a vue dans ses longues robes noires et fluides, sous la pleine lune, sur les rives du fleuve Guajará, vers l'Igarapé das Almas.

    Camille_00819144_0_.jpgBientôt, autour d'elle, des rumeurs se créent et des commentaires malveillants prennent vie.
    On disait qu'elle était l'amante de Francisco Bolonha (1872-1938), qui l'avait ramenée d'Europe, et qu'il la baignait avec de coûteux champagnes importés d'Europe, dans la baignoire de son manoir.
    On disait aussi qu'elle avait été attaquée par le vampirisme à Londres, à cause de sa pâleur et de son apparence maladive, et qu'elle avait apporté ce grand mal à l'Amazonie, ayant une mystérieuse envie de boire du sang humain, au point d'hypnotiser les jeunes femmes avec sa voix lors de ses concerts, les faisant s'endormir dans sa loge, pour que la mystérieuse dame puisse leur atteindre le cou. Ce qui, curieusement, coïncidait avec des rapports d'évanouissements dans le théâtre pendant ses concerts, expliqués simplement comme un effet de la forte émotion que sa musique produisait dans les oreilles du public.

    On disait aussi qu'elle avait le pouvoir de communiquer avec les morts et de matérialiser ses esprits dans des brumes éthérées denses de matériaux ectoplasmiques expulsés de son propre corps, lors de séances de médiumnité. Il s'agit sans aucun doute des premières manifestations en Amazonie de ce que l'on appellera plus tard le spiritisme, pratiqué dans des cultes mystérieux dans des palais de Belém, comme le Palacete Pinho.

    À la fin de l'année 1896, une terrible épidémie de choléra ravagea la ville de Belém, faisant de Camille Monfort l'une de ses victimes, qui fut enterrée dans le cimetière de Soledade.

    Aujourd'hui, sa tombe est toujours là, couverte de boue, de mousse et de feuilles sèches, sous un énorme manguier qui la fait plonger dans l'obscurité de son ombre, seulement éclairée par quelques rayons de soleil projetés à travers les feuilles vertes.
    Il s'agit d'un mausolée néoclassique dont la porte est fermée par un vieux cadenas rouillé, d'où l'on peut voir un buste de femme en marbre blanc sur le large couvercle de la tombe abandonnée, et attachée au mur, une petite image encadrée d'une femme vêtue de noir.

    Sur sa pierre tombale, on peut lire l'inscription :

    « Ci-gît Camille Marie Monfort (1869-1896) La voix qui a charmé le monde ».
    Mais certains affirment encore aujourd'hui que sa tombe est vide, que sa mort et son enterrement n'étaient rien d'autre qu'un acte visant à dissimuler son cas de vampirisme, et que Camille Monfort vit toujours en Europe, aujourd'hui à l'âge de 154 ans...

    L'EXAMEN DU RECIT

    Si les preuves attestant de l'authenticité de l'histoire sont introuvables, les éléments suspicieux sont assez nombreux pour nous mener vers le constat du récit complètement fictif.

    Les sources

    L’histoire est apparue du jour au lendemain sur le web et les réseaux sociaux autour de la mi-juillet 2023 via quelques posts Facebook et des vidéos Youtube/TikTok toutes publiées depuis des comptes ouverts pour la circonstance au Brésil. En général, c'est le signe d'une opération de création de contenus « fake ». Avant la mi-juillet, l’histoire de Camille Monfort n’existe tout simplement pas telle qu'elle est racontée.
    Très étrange pour une histoire censée être vieille de plus d'un siècle...

    A titre personnel, je n’avais jamais entendu parler de cette histoire. Certes, je n’ai pas la prétention de connaître toutes les histoires existantes dans le paranormal mais depuis que je fréquente ce milieu, j’en ai étudié des centaines (dont 70 ont fini dans mes livres). Et j’ai beaucoup de mal à imaginer qu'une telle histoire de vampire, aussi ancienne, m’aurait échappé, à moi ou à l’un de mes confrères auteurs.

    Le contenu du texte : quelles preuves ?

    Il n’existe absolument aucune preuve attestant de l’existence d’une Camille Monfort ayant vécu en Amazonie. Elle n'apparait nulle part dans les chroniques ou les récits sur le Brésil de la fin du XIXème siècle. Rien sur le personnage et rien non plus sur la tombe pourtant largement décrite et dont on pourrait imaginer qu'il en existe une photo crédible. 

    Je n’ai pas non plus trouvé la confirmation d’une épidémie de choléra à Bélem en 1896.

    En revanche, ce qui rend la «fiction» plus subtile, c’est que le récit mentionne quelques éléments authentiques comme le Théâtre Da Paz de Bélem, qui a réellement existé au 19ème siècle, le cimetière de Soledade où se trouverait la fameuse tombe, ou encore l'architecte brésilien Francisco Bolonha (1872 - 1938) qui voyagea beaucoup en Europe et qui fit construire le Palacete Bolonha à Bélem pour l’offrir en cadeau … à son épouse Alice Loureiro (née Tem-Brink).

    La photo

    Le récit est accompagné d’une photo prétendue être celle de Camille Monfort. Selon les publications, cette photo a été plus ou moins retouchée selon les supports, soit disant « pour en extraire les détails » (sic).

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    Certains ont même vu dans l’objet que tient la jeune femme un téléphone portable alors que cela ressemble davantage à un carnet. Au point d'affirmer que cette jeune personne était une voyageuse temporelle...
    Au bas de la photo figure le nom d'un studio de photo londonien qui existait réellement à la fin du XIXème siècle mais qui aurait brûlé au début du XXème siècle.

    Si la photo interroge,  c'est qu'elle semble en complet décalage avec le look attendu pour une femme de la fin du XIXème. La main gauche du modèle, également, a une forme bizarre qui fait penser aux restitutions visibles sur les créations d’images par des IA comme Midjourney. Si c'est le cas, cette image est une création artificielle et la jeune femme représentée n’existe même pas !

    D'OU PROVIENT CETTE HISTOIRE, ALORS ?

    En fait, il faut distinguer le récit de la photo qui l'accompagne.

    1) En réalité, Camille Monfort est un personnage imaginaire, inventé par un écrivain brésilien du nom de Bosco Chancen. Celui-ci, dont on ne sait pas grand chose, a publié en auto-édition en 2020 un roman intitulé "Após a Chuva da Tarde" ("Après la pluie de l’après-midi") ayant pour sous-titre : "La légende du chien fantôme du Palacete Bolonha".
    Photo roman.JPGCe roman a été publié sur Amazon en 2021 mais apparemment, il a été retiré de la vente car la page du livre n'est plus accessible en juillet 2023.
    Il s'agit d'un roman gothique qui se déroule dans l'Amazone brésilienne et qui met en scène des vampires européens invités par l'élite culturelle de Belem à des concerts au Theatro da Paz à la fin du XIXème siècle. Parmi ces Européens, le personnage d'une chanteuse lyrique très indépendante venue de France qui se bat pour le droit de vote des femmes et dont le comportement libre choqué la bonne société conservatrice de Belem, au point de donner naissance à la rumeur qu'elle serait un vampire. Une histoire de vampire en zone tropicale, en somme.

    2) Quant à la photo qui a fait beaucoup parler, étrangement, on la retrouve comme illustration de couverture d'une nouvelle de 25 pages intitulée "Chérie" publiée en auto-édition par l'auteur brésilien Philipe Kling David le 20 juillet, c'est-à-dire à la même période que l'apparition de l'histoire sur les réseaux sociaux. Curieuse coïncidence, non ?
    Nouvelle Cherie.JPGCette nouvelle, "Chérie", n'a rien à voir avec l’histoire de Camille Monfort. Elle évoque un carnet trouvé dans les ruines du manoir de Nanau en Angleterre dans lequel un jeune homme du nom de Floyd Treible Nanau exprimerait sa folle passion pour une femme mystérieuse qui a vécu comme invité de la famille au manoir de 1901 à 1902.

    De ce que l'on peut trouver sur Internet, Kling David est un auteur prolifique qui publie souvent en auto-édition et qui s'intéresse aussi au design et, tiens donc, à l'Intelligence Artificielle. 
    Je l'ai contacté par divers canaux (via son site web et Messenger) mais n'ai pas eu de réponse à ce jour : peut-être ne parle-t-il pas l'anglais ou bien ne veut-il pas répondre ? Mais il y a de très fortes probabilité qu'il soit à l'origine de la fameuse photo de Camille Monfort. Selon toute apparence, cette "photo" est une création via un outil d'IA du type Midjourney.

    Enfin, juste pour l'anecdote, le dernier trois-mâts barque français à coque acier, l'un des plus anciens trois-mâts en Europe en état de navigation et le second plus grand voilier restant en France s'appelle le Bélem et a été construit à Nantes en 1896, l'année de la mort de la fictive Camille Monfort.

    CONCLUSION

    L'absence totale de preuves et le fait que les éléments disponibles se retrouvent chez des auteurs de fiction brésiliens permettent de conclure à une histoire inventée de toutes pièces. Dès lors que le récit est très récent, on ne peut en aucun cas l'appeler "légende". 

    Voici un nouvel exemple récent de ces récits imaginaires qui mêlent réalité et légendes urbaines et que l'on range d'ordinaire dans la catégorie "réalisme fantastique". Peu fiables, rarement vérifiées, ces histoires peuvent être de bonne qualité littéraire mais hélas, elles sont souvent copiées et relayées par des internautes peu scrupuleux qui affirment sans jamais le prouver qu'elles sont parfaitement authentiques.

    Deux exemples, parmi d'autres, de légendes urbaines qui circulent toujours sur Internet :


    Reste à savoir qui a propagé cette histoire en juillet 2023 : est-ce l'un des deux auteurs précités, Bosco Chancen ou Philipe Kling David, dans le but de promouvoir son oeuvre littéraire ou attirer l'attention sur lui ? Ou bien une tierce personne qui a eu l'idée d'amalgamer un roman inconnu avec une photo trouvée ailleurs pour bâtir une histoire de vampire inédite ? Pour l'instant, ce point n'est pas complètement éclairci même si je penche pour Bosco Chancen.
    Mais l'essentiel est ailleurs : il importait surtout de démystifier cette histoire en lui niant toute authenticité. N'hésitez pas relayer le lien vers cet article si vous tombez en ligne sur cette histoire.

    Statut : fiction présentée à tort comme authentique. 

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